Hydrogéomorphologie : concilier infrastructures et hydrosystèmes dynamiques

Hydrogeomorphologie

La gestion des cours d’eau et des côtes a considérablement évolué au fil des dernières décennies. Autrefois, il était courant de linéariser certains cours d’eau et de remblayer des zones inondables pour les rendre constructibles. Aujourd’hui, nous comprenons mieux que les cours d’eau et les côtes suivent un processus naturel d’adaptation entre différentes variables de contrôle. Par exemple, les cours d’eau s’ajustent en permanence aux variations du débit et de la pente, tout comme les côtes actives le long du St-Laurent qui s’érodent alors que d’autres secteurs accumulent les sédiments.

« Bien que nous comprenions de mieux en mieux ces phénomènes, le recours à l’enrochement massif protégeant l’arrière-côte est encore parfois un mal nécessaire. Il faut continuer à protéger des routes ou des bâtiments existants qui, peut-être, n’auraient pas dû être construits à cet endroit. Nous devons composer avec les décisions du passé. Cela dit, nous disposons également maintenant de techniques davantage en phase avec les processus naturels » – Anne-Marie Leclerc, hydrogéomorphologue, M.Sc., géogr., sept. 2024.

L’hydrogéomorphologie est une science en constante évolution. Bien que l’enrochement ou le mur de protection reste parfois nécessaire pour protéger des infrastructures comme des routes ou des bâtiments, la compréhension des processus naturels est essentielle. Cette approche permet de concilier la protection des infrastructures avec une meilleure gestion des écosystèmes. L’analyse approfondie et continue des phénomènes d’érosion, d’accumulation, de submersion et de mobilité des milieux hydriques est plus pertinente que jamais dans le contexte des changements climatiques. Chercheur à l’UQAR, Thomas Buffin-Bélanger a récemment rédigé d’une brillante façon une revue historique de l’évolution de la discipline depuis le 19e siècle et analyse finement les publications scientifiques faites au Québec dans les dernières décennies.1

« Les mentalités changent. Et nous sommes fiers de faire partie de ce changement-là. Personnellement, je l’attends depuis le début de ma carrière. » Anne-Marie Leclerc, hydrogéomorphologue, M.Sc., géogr., sept. 2024.

En effet, les « dérèglements » des cours d’eau ou des milieux côtiers sont de plus en plus source d’interactions négatives entre les milieux hydriques et le cadre bâti. À titre d’exemples, un cours d’eau sort de son lit et emporte un pont et les véhicules récréatifs d’un camping; une tempête frappe l’Est-du-Québec et certains résidents perdent 10 m de berge devant leurs maisons en quelques jours. Il devient alors plus que jamais pertinent de mieux comprendre les processus d’érosion, d’accumulation, de submersion, d’inondation ainsi que la mobilité latérale et verticale de ces milieux. C’est là qu’apparaît toute la pertinence de l’approche hydrogéomorphologique, et la meilleure solution peut parfois être de construire à plus grande distance du milieu hydrique.

« Comme géomorphologue œuvrant dans le milieu du génie-conseil depuis 2009, j’ai pu voir comment certains gros donneurs d’ouvrage, comme le ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec (MTMD), ont commencé à s’intéresser de plus en plus à la dynamique sédimentaire et la mobilité des cours d’eau. » – Anne-Marie Leclerc, hydrogéomorphologue, M.Sc., géogr., sept. 2024.

L’hydrogéomorphologie, discipline à la croisée des sciences hydrauliques, sédimentaires et morphologiques, est au cœur de cette compréhension. Ce savoir se concrétise dans des projets tels que la construction de l’autoroute 85 dans le Témiscouata, où plusieurs étapes de conception et de surveillance ont pu être effectuées. En 2018, une analyse de l’évolution spatio-temporelle des rivières Verte et Bleue a pu être réalisée, permettant ainsi d’évaluer la conception des ponts en fonction de la mobilité des cours d’eau.

Grâce à ces études, commandées entre autres par le MTMD, le réaménagement de certains tronçons de cours d’eau mineurs a pu être fait en raison d’une compréhension accrue des formes évolutives des rivières. Cette collaboration et ces analyses ont permis de mieux intégrer les dynamiques naturelles dans les projets d’infrastructures routières, avant même l’entrée en vigueur du Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement (REAFIE) en 2021.

L’arrivée du REAFIE a précisé les déclencheurs d’un « avis de mobilité » de cours d’eau et a favorisé l’uniformisation des pratiques. Le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) a également émis des lignes directrices pour les professionnels. Cependant, les méthodes et exigences pourraient encore être resserrées pour améliorer la cohérence des approches.

Une équipe de professionnels en environnement et d’ingénieurs, qui a de l’expérience ou qui a reçu des formations adéquates, peut être considérée comme habilitée à réaliser des avis de mobilité ou à répondre à des enjeux hydrogéomorphologiques ponctuels dans divers projets. Ces professionnels ainsi habilités s’entourent, si nécessaire, d’architectes du paysage, pour intégrer de plus en plus les phytotechnologies, ou d’hydrauliciens dans les projets de réaménagements et de stabilisation de cours d’eau.

Chaque nouveau projet représente une opportunité concrète de voir évoluer les mentalités dans le domaine. Les solutions qui sont mises en œuvre aujourd’hui tendent à allier respect de l’environnement et innovations, remplissant de fierté tout professionnel s’impliquant dans ce mouvement vers des pratiques plus durables.

Référence: Trajectoires et visées de l’hydrogéomorphologie au Québec

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