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Quand la flexibilité de la demande redonne du souffle au réseau électrique

Le système électrique canadien entre dans une phase où le maintien d’une alimentation fiable et abordable dépend moins de la construction de nouvelles capacités de production que de la manière dont la demande est gérée intelligemment. La réponse à la demande et en particulier les solutions émergentes de type vehicle-to-grid (V2G) s’imposent rapidement comme des outils essentiels pour protéger la fiabilité du réseau, maîtriser les coûts et soutenir la décarbonation. 

 

La demande d’électricité s’accélère simultanément sous trois effets : l’essor de nouvelles charges importantes comme les centres de données et l’intelligence artificielle, l’électrification rapide des bâtiments et des véhicules et la pression réglementaire en faveur de la décarbonation. Les départs et postes existants connaissent désormais des pointes marquées, provoquées par des comportements synchronisés : les thermopompes qui montent en puissance les soirées froides, les véhicules électriques branchés au retour du travail et les charges commerciales qui s’y superposent, le tout sans le soutien d’une capacité fossile bon marché et disponible en continu pour lisser ces variations. Ces défis sont très localisés dans le temps et dans l’espace, de sorte que l’ajout de capacité de base en vrac ne résout pas le problème sous‑jacent. La question centrale est celle de la demande de pointe sur les infrastructures en place durant un nombre relativement limité d’heures par année, et c’est précisément ce que la réponse à la demande vise à traiter.

Electrical grid at sunset

La manière simple de comprendre la réponse à la demande consiste à la voir comme une combinaison de tarification de pointe et de flexibilité appliquée à l’électricité. Tout comme le prix des chambres d’hôtel ou des courses en covoiturage augmente lorsque la demande explose, la réponse à la demande s’appuie sur des signaux de prix et des incitatifs pour encourager les clients à déplacer ou réduire leur consommation lorsque le réseau est sous tension. Concrètement, cela peut signifier le préchauffage ou le prérefroidissement des bâtiments, le décalage de certains procédés industriels de quelques heures, ou la programmation d’appareils et de bornes de recharge pour qu’ils fonctionnent la nuit, lorsque l’offre est abondante et bon marché. Pour les services publics, cela transforme des clients auparavant passifs en ressources flexibles pouvant être mobilisées comme une centrale virtuelle, ce qui permet d’atténuer les pointes sans ajouter de nouveaux actifs « physiques » sur le terrain.

L’électrification progresse parce qu’elle permet aux utilisateurs finaux de réduire leurs coûts et leurs émissions, mais elle amplifie aussi l’impact financier des heures de pointe, tant pour les services publics que pour les clients. Les tarifs selon l’heure d’utilisation et autres mécanismes de tarification dynamique démontrent déjà à quel point les coûts peuvent diverger entre périodes creuses et périodes de pointe, ce qui multiplie la valeur de la flexibilité pour les grands consommateurs. Pour les planificateurs de systèmes, la réponse à la demande constitue souvent l’option la moins coûteuse pour répondre aux besoins de fiabilité, comparativement à la construction de nouvelles centrales de pointe ou à l’accélération des investissements de renforcement du réseau. Même des réductions modestes de la demande de pointe de l’ordre de quelques pour cent peuvent se traduire par des économies disproportionnées à l’échelle du système, en évitant ou en reportant des investissements en capacité.

La fondation de la réponse à la demande moderne repose sur la convergence des appareils connectés, de la mesure avancée et des plateformes de contrôle infonuagiques, en pratique, la concrétisation de l’Internet des objets appliqué à l’énergie. Les compteurs intelligents, thermostats connectés, systèmes de gestion de bâtiments, variateurs de vitesse et bornes de recharge contrôlables offrent une visibilité fine sur la charge et la capacité de l’ajuster en quasi temps réel. Ces systèmes permettent aux services publics et aux agrégateurs d’envoyer des signaux automatisés de mobilisation à des milliers d’appareils simultanément, en orchestrant l’éclairage, le CVCA, le pompage et les charges de procédé pour qu’ils réagissent en quelques minutes. Il en résulte un portefeuille distribué et contrôlable de ressources du côté de la demande, qui peuvent être mesurées, vérifiées et rémunérées comme tout autre produit de capacité.

Sur le plan financier, des programmes de réponse à la demande bien conçus créent une proposition de valeur partagée. Les services publics réduisent leurs coûts de service en diminuant leurs achats en période de pointe, en reportant des renforcements de réseau et en améliorant la fiabilité globale, tandis que les clients reçoivent des incitatifs, des factures allégées ou une moindre exposition à la volatilité des prix de gros en échange de leur flexibilité. Pour les clients commerciaux et industriels, l’opportunité est particulièrement attrayante : le décalage des horaires de production, l’optimisation des activités de pompage ou de compression, ou encore la modulation des charges de stockage et de procédé peuvent générer d’importantes économies d’exploitation avec un impact limité sur la production. À grande échelle, ces programmes produisent également des bénéfices mesurables en matière d’émissions, en réduisant le recours à des centrales de pointe fortement émettrices durant les heures les plus carbonées.

Malgré ces avantages évidents, déployer à grande échelle une réponse à la demande sophistiquée n’a rien de trivial. Les organisations se heurtent souvent à des écosystèmes matériels et logiciels fragmentés, où compteurs, bornes de recharge, batteries et systèmes de bâtiment utilisent des protocoles différents et ne peuvent pas facilement être orchestrés par une couche de contrôle unique. Un changement culturel et organisationnel est également nécessaire : l’énergie doit être considérée comme une ressource à gérer activement et non plus comme une simple facture mensuelle. Cela suppose d’investir dans la mesure, l’analytique et des compétences internes ou externes capables de traduire kilowatts et kilowattheures en indicateurs financiers et opérationnels compréhensibles pour les décideurs.

Le vehicle-to-grid se situe à l’avant-garde de la réponse à la demande, en transformant les véhicules électriques en actifs bidirectionnels plutôt qu’en charges unidirectionnelles. En permettant aux bornes et aux véhicules de puiser de l’énergie sur le réseau, mais aussi d’en réinjecter, le V2G peut soutenir les transformateurs, postes ou même départs locaux pendant les heures critiques, grâce à l’énergie stockée dans des véhicules qui resteraient autrement à l’arrêt. Des projets pilotes impliquant des autobus, des flottes scolaires et des véhicules commerciaux démontrent déjà comment des ressources V2G agrégées peuvent fournir de l’écrêtement de pointe, une capacité de secours, voire des services de régulation de fréquence. Dans un pays comme le Canada, où le taux de motorisation est élevé et la densité de population faible, une adoption généralisée du V2G représente un vaste réservoir inexploité de capacité flexible pouvant être déployé dans les zones urbaines et semiurbaines, sans recourir à de nouvelles installations de production à grande échelle.

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Rien de tout cela ne fonctionne sans une infrastructure numérique robuste et une gouvernance des données solide. Les services publics ont besoin d’une mesure à haute résolution, de standards de communication interopérables, de canaux de commande sécurisés et de systèmes de règlement capables d’associer des millions de petites actions distribuées à des clients et des tarifs précis. Les plateformes de données et les outils d’analytique transforment les mesures brutes en informations exploitables : identifier les zones où la flexibilité est la plus précieuse, prévoir les pointes et optimiser les stratégies de mobilisation pour minimiser les coûts et les risques. Les juridictions qui ont investi tôt dans l’infrastructure de comptage avancée et dans des standards ouverts montrent déjà qu’il est possible d’intégrer des charges flexibles aux marchés à grande échelle et de les rémunérer de manière transparente.

Pour libérer pleinement le potentiel de la réponse à la demande et du V2G, les services publics, les autorités de réglementation, les fournisseurs de technologie et les grands clients doivent s’appuyer sur des cadres économiques et techniques alignés. La conception des programmes doit concilier exigences de fiabilité et expérience client : la participation doit rester volontaire, prévisible et financièrement significative, sans être intrusive ni perturbatrice. Sur le plan réglementaire, des règles habilitantes pour les agrégateurs, des protocoles clairs de mesure et de vérification, ainsi que des produits de marché dédiés à la capacité, aux réserves et à la flexibilité sont essentiels. Cet alignement permet aux services publics de se procurer des ressources du côté de la demande avec la même confiance que des actifs traditionnels, tout en offrant aux partenaires privés et aux clients un cadre stable pour investir dans les technologies habilitantes.

Au cours des cinq à dix prochaines années, la réussite de la réponse à la demande pour les services publics canadiens sera visible de trois façons principales. Premièrement, les prix de détail et de gros de l’électricité pourront demeurer relativement stables, même à mesure que l’électrification s’accélère et que de nouvelles charges importantes se connectent, parce que les pointes seront gérées par une demande flexible plutôt que par une nouvelle capacité coûteuse. Deuxièmement, la planification des réseaux de distribution pourra intégrer systématiquement la flexibilité de la demande, le stockage en aval du compteur et le V2G comme des outils de base, aux côtés des mises à niveau traditionnelles. Troisièmement, les clients – résidentiels, commerciaux, industriels et exploitants de flottes – pourront considérer la participation à la réponse à la demande comme une pratique standard, intégrée dans les appareils, les contrats et la planification opérationnelle, plutôt que comme un projet pilote ou un programme promotionnel de niche. Le mégawatt le plus rentable de la prochaine décennie ne sera peut-être pas celui qui sera généré, mais celui qui sera déplacé, modulé ou partagé, et la réponse à la demande, combinée au V2G, offre au réseau la flexibilité nécessaire pour préserver l’avantage canadien d’une électricité propre, fiable et abordable dans une ère de changements rapides.

Christopher Ralph_V2G_Norda SteloAuteur

Christopher Ralph
Expert, Électrification et V2G
Gestionnaire clients, Ferroviaire et Collectivités Durables
Norda Stelo

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