Dans un article précédent [1], nous cherchions à cerner quelle pourrait être une stratégie gagnante pour le Québec afin de développer sa filière locale de l’hydrogène vert.

Résumons brièvement ses principales conclusions : l’hydrogène s’avère complémentaire aux bioénergies, à l’électrification ainsi qu’aux stratégies de sobriété et d’efficacité énergétique devant caractériser la transition énergétique québécoise. Par ailleurs, sans s’imaginer devenir aussi puissant sur le plan géopolitique que l’a été l’Arabie Saoudite ces dernières décennies, le Québec peut envisager de jouer un plus grand rôle qu’à l’heure actuelle à l’échelle internationale sur le plan énergétique. Il pourrait jouer ce rôle accru, d’une part, en maximisant son potentiel de production d’hydrogène vert et, d’autre part, en contribuant à l’approvisionnement en minéraux critiques et stratégiques nécessaires au développement des technologies de production et de stockage de l’électricité renouvelable. Finalement, bien que les orientations du gouvernement fédéral actuel soient alignées avec les ambitions québécoises en matières énergétiques, le Québec devra s’assurer que la stratégie canadienne favorise aussi l’essor de l’hydrogène bleu, sans quoi l’Ouest canadien pourrait se sentir laissé pour compte. En somme, une stratégie gagnante pour le Québec doit aller dans le sens d’une stratégie gagnante pour le Canada dans son ensemble.

Or, quels sont les contours de la Stratégie canadienne pour l’hydrogène? Brièvement, cette dernière « souligne l’importance de mettre l’accent sur l’intensité carbone et les réductions d’émissions attendues de toutes les voies plutôt que sur une voie en particulier » [2]. Également, elle estime que la fameuse molécule pourrait représenter jusqu’à 6 % du bouquet énergétique canadien d’ici 2030 et jusqu’à 30 % d’ici 2050. Ici, un lecteur perspicace pourrait lever la main et affirmer : « n’est-ce pas contradictoire avec ce qu’affirmait l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans ses plus récentes projections? »

Où est l’hydrogène?

En effet, si on observe les plus récentes statistiques clés de l’énergie publiées par l’AIE, l’hydrogène n’apparaît nulle part [3].

Figure 1 Approvisionnement énergétique mondial total (en pétajoules) jusqu’en 2040
(source : Agence internationale de l’énergie, Key Energy Statistics 2021

Pourquoi donc? La réponse est pourtant simple : les statistiques clés de l’énergie publiées par l’AIE présentent les approvisionnements énergétiques mondiaux par sources d’énergie primaires, et non par forme d’énergie finale consommée.

Lorsque Ressources naturelles Canada affirme que l’hydrogène pourrait représenter jusqu’à 30% du bouquet énergétique canadien en 2050, ce qu’elle veut dire, c’est que 30% de l’énergie finale consommée au Canada le sera sous forme d’hydrogène.

Or, comment se fait-il que l’hydrogène puisse être une forme d’énergie finale consommée sans aussi se retrouver dans le panier des énergies primaires? Encore une fois, la réponse n’est pas si compliquée, bien que moins évidente de prime à bord : l’hydrogène n’est tout simplement pas une forme d’énergie primaire, mais plutôt un vecteur énergétique. Autrement dit, il a toujours besoin d’une source d’énergie primaire pour être créé, puis utilisé d’une façon ou d’une autre.

L’hydrogène, vecteur énergétique

Afin de rendre cette explication plus digeste, présentons un exemple visuel, tiré de l’État de l’énergie au Québec 2021 de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal [4]. Sur la figure ci-bas, encerclée en rouge, se trouve la production d’hydrogène utilisant le gaz naturel comme source d’énergie primaire. On voit qu’elle sert à la production de produits pétroliers raffinés qui, eux, trouvent des applications dans les secteurs des bâtiments, de l’industrie et surtout des transports.

Figure 2 Bilan énergétique du Québec en 2018 (source : État de l’énergie au Québec 2021)

Ainsi, au Québec, pour l’heure, l’hydrogène n’est utilisé que dans la phase de « transformation » du cycle de l’énergie. Cependant, dans le futur, il est estimé qu’il pourra être utilisé à d’autres fins, notamment au niveau de la consommation dans les domaines des transports individuels, du transport collectif, du transport de marchandises, du secteur industriel, ainsi que du secteur maritime et portuaire. Comment les industriels et ingénieurs s’y prendront-ils pour mener à terme cette importante transformation énergétique en contexte canadien? Avant de répondre à cette question, faisons d’abord un pas de côté pour expliquer comment produire de l’hydrogène.

50 nuances d’hydrogène

Dans l’industrie, l’hydrogène est obtenu principalement via deux procédés : le vaporeformage (en anglais « steam reforming ») et l’électrolyse de l’eau [5]. Aujourd’hui, 95% de l’hydrogène dans le monde est produit à l’aide du vaporeformage, notamment dans les raffineries traditionnelles où, comme nous l’avons vu plus haut, l’hydrogène est un intrant des procédés de production de produits pétroliers comme l’essence et le diésel. L’hydrogène n’a donc rien de nouveau et les ingénieurs qui travaillent dans le secteur pétrolier et gazier ont l’habitude de manipuler cette molécule de façon sécuritaire.

L’hydrogène issu du vaporeformage du gaz naturel est communément appelé hydrogène gris. Or, il existe aujourd’hui plusieurs types, plusieurs couleurs d’hydrogène dont la caractérisation est fonction i) de la source d’énergie utilisée comme intrant, ainsi que ii) du procédé de production [6].

L’hydrogène bleu utilise en principe n’importe quelle source d’énergie fossile comme intrant. En revanche, le gaz naturel est celui qui est le plus souvent utilisé dans les faits. L’intrant est ensuite traité par un procédé qui combine le vaporeformage avec une technologie de captage et de stockage du carbone (CSC). L’hydrogène turquoise est le résultat de la pyrolyse du méthane. L’hydrogène rose est obtenu quant à lui par l’électrolyse de l’eau en utilisant de l’électricité de source nucléaire. Finalement, l’hydrogène vert est également obtenu par l’électrolyse de l’eau, mais en utilisant de l’électricité renouvelable (hydroélectrique, éolienne, solaire, marémotrice, etc.).

L’hydrogène au Canada

Au Canada, ce sont principalement les hydrogènes bleu et vert qui suscitent l’espoir, le premier dans l’Ouest canadien, le deuxième au Québec. Considérant que l’Alberta et la Colombie-Britannique produisaient en 2019 respectivement 71% et 27% (donc, 98% au total) du gaz naturel commercialisable au Canada [7], il apparaît évident que ces provinces s’intéressent à l’hydrogène bleu comme vecteur de prospérité pour leurs provinces. Le ministre associé au gaz naturel de l’Alberta Dale Nally comparaissait d’ailleurs récemment le potentiel du secteur de l’hydrogène à celui des sables pétrolifères dans les années 1970 [8].

Au Québec, l’abondante d’hydroélectricité fait plutôt rêver, sans surprise, d’hydrogène vert.

Le gouvernement fédéral, le secteur privé et la communauté canadienne du génie auront donc la difficile tâche de concilier deux visions différentes qui, sans nécessairement être incompatibles, pourraient en venir à se concurrencer, notamment dans la recherche de capitaux. Espérons en définitive que les acteurs qui seront amenés à appliquer une stratégie nationale de l’hydrogène fassent preuve de jugement, d’esprit critique et d’équité. Le Canada a une opportunité en or devant lui. Il serait dommage de le voir rater le bateau pour cause de divisions internes inutiles et ruineuses.

Références

[1] THIBAULT, Jean-François. Quelle stratégie pour l’hydrogène vert au Québec ?, [En ligne]. [https://geniecollectif.norda.com/quelle-strategie-pour-lhydrogene-vert-au-quebec?]

[2] THIBAULT, Jean-François. Hydrogène vert : entretien avec Ressources naturelles Canada, [En ligne]. [https://blogue.genium360.ca/article/innovation/hydrogene-vert-entretien-avec-ressources-naturelles-canada/]  (Consulté le 25 novembre 2021)

[3] INTERNATIONAL ENERGY AGENCY (IEA). Key World Energy Statistics 2021, [En ligne]. [https://iea.blob.core.windows.net/assets/52f66a88-0b63-4ad2-94a5-29d36e864b82/KeyWorldEnergyStatistics2021.pdf] (Consulté le 18 octobre 2021)

[4] WHITMORE, Johanne, et Pierre-Olivier Pineau. État de l’énergie au Québec 2021, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal, préparé pour le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, Montréal. [En ligne]. [https://energie.hec.ca/wp-content/uploads/2021/02/EEQ2021_web.pdf] (Consulté le 25 novembre 2021)

[5] STUDENT ENERGY. Hydrogen 101, [En ligne]. [https://www.youtube.com/watch?v=Kv8WT3-7ZHE] (Consulté le 25 novembre 2021)

[6] DHANHYAA. Big Data For Green Hydrogen (and Not Brown, Grey Or Blue), [En ligne]. [https://www.iunera.com/kraken/sustainability/big-data-for-green-hydrogen/] (Consulté le 25 novembre 2021)

[7] GOUVERNEMENT DU CANADA. Faits sur le gaz naturel, [En ligne]. [https://www.rncan.gc.ca/science-et-donnees/donnees-et-analyse/donnees-et-analyse-energetiques/faits-saillants-lenergie/faits-gaz-naturel/20078] (Consulté le 25 novembre 2021)

[8] VARCOE, Chris. Hydrogen has the potential to be Alberta’s next oilsands in importance, [En ligne]. [https://calgaryherald.com/opinion/columnists/varcoe-hydrogen-has-the-potential-to-be-albertas-next-oilsands-in-importance] (Consulté le 25 novembre 2021)